Qui veut la peau de Greta Thunberg ?

Difficile de passer à côté. A la télévision comme à la radio, sur les réseaux sociaux ou dans la presse, le récent périple de la militante écologiste Greta Thunberg a suscité de très nombreux commentaires, notamment en France. Ces réactions, souvent binaires, font émerger un groupe entier de personnes voyant, dans la militante, une ennemie à combattre. Si les attaques ad-hominem des « anti-Greta » (comme se définit L. Alexandre sur son twitter) ont été analysées et déconstruites ces dernières semaines, les critiques ne se limitent pas à ces tacles assez simples. Il importe donc d’analyser l’argumentaire des « anti », sans se cantonner aux têtes d’affiches, pour mieux comprendre les ressorts de cette opposition.

Qui sont donc ces détracteurs, et quelles idées alimentent leurs critiques de Greta Thunberg ?

Analyse des discours des anti-Greta, à travers un réseau social sur lequel ils sont particulièrement actifs : Twitter. L’occasion de faire la part entre forme et fond, et de découvrir le lien entre immigration, progrès, et Greta Thunberg.

Chapitre 1 – Où l’on dit bien du mal de la candeur infernale de la jeunesse

En surface, l’attaque de forme – physique, âge, sexe, mode d’action – prédomine sur le fond chez les contempteurs de Greta Thunberg.

Sur les plateaux TV, dans la presse ou sur les réseaux sociaux, cette vague de critiques a souvent surpris par sa violence (voir l’article de Telerama). L’article mentionné reprenant très bien les attaques les plus violentes qui lui ont été faites, il est temps de s’intéresser aux autres arguments fréquemment utilisés contre la militante.

Tweets ci-contre : Les propos de Greta Thunberg sont fréquemment repris, ici de manière trompeuse (voir l’article des Décodeurs), pour s’opposer à ses déclarations.

En laissant donc de côté les attaques ad hominem, les tweets laissent apparaître deux premiers axes de critiques :

  • D’abord, des attaques de forme sur son discours. Celui-ci sera jugé énervé ou larmoyant, outrancier, scandaleux… ces critiques en disent peu sur la rhétorique à l’œuvre chez les anti-Greta, tant elles sont superficielles et parfois basées sur des inexactitudes (voir ci-dessus).
  • Ensuite, un premier élément rhétorique, par opposition aux soutiens (réels ou supposés) de la militante. Sont fustigés ici de faux-écolos urbains et aisés, faisant leur révolution climatique depuis leur Smartphone, loin donc d’une réelle lutte contre le climat (tweets ci-dessous). Cette posture est importante et se confirmera par la suite : clef de l’argumentation contre Greta Thunberg, l’idée que les militants écologistes sont dogmatiques et loin des réalités scientifiques revient en boucle. Par opposition, les anti-Greta deviennent donc les garants du vrai combat climatique, fait de sciences et de raison.

Ci-contre : Les soutiens ou alliés de la militante sont également dépeints. Superficiels, succombant à une mode : une nouvelle critique apparaît, celle de l’inconsistance du fond.

Creuser les arguments des anti permet d’exhumer une toute autre rhétorique, en faveur des sciences et de la technique.

Changement de style. Dans le thread ci-dessous, la France est mise à l’honneur à travers son agriculture et son électricité décarbonée. Les écologistes, auxquels Greta Thunberg est assimilée, sont directement visés, critiqués pour leurs oppositions fréquentes au nucléaire, aux pesticides ou aux OGM. Une nouvelle rhétorique se développe donc, en apparence moins superficielle : en faveur des sciences et de la technique, elle prône une lutte dépassionnée et sans prisme idéologique contre le réchauffement climatique. Cet élément fait une jonction parfaite avec l’opposition aux « enfants des bobos des grandes villes », renforçant les anti-Greta dans leur posture scientifiques tout en décrédibilisant les soutiens de la militante.

Ci-contre : Agriculture responsable, électricité peu émettrice de gaz à effets de serre… autant d’atouts français qui servent ici de réponse à la requête déposée contre la France par G. T. à l’ONU. Cette requête étant par ailleurs très critiquée car ne pouvant cibler les pays les plus pollueurs.

Cette posture est celle du calme et de la raison face à la tempête et à la panique, la riposte de l’expérience contre la jeunesse.

Cet appel à la raison et aux sciences s’inscrit dans une posture bien définie, dont Greta Thunberg serait la négation. A la fougue de la jeunesse s’oppose le calme de l’expérience, aux grandes déclarations s’oppose le rationnel, à la peur s’oppose le progrès, à l’urgence climatique s’oppose la rigueur scientifique.

Allant parfois jusqu’à la caricature (ou peu s’en faut) de cette attitude, Laurent Alexandre illustre jusqu’à l’excès ses différentes composantes. L’extrait d’article donné ci-dessous en est par ailleurs un excellent exemple : il y dénonce la « panique irrationnelle » d’une mouvance « apocalyptico-effondriste ».

Ci-contre : Extrait d’une tribune dans Le Parisien, où Laurent Alexandre mêle les attaques directes (« déification » d’une « gamine très fragile »), le refus d’une « paranoïa » « prônant la décroissance » et se déclare « en phase avec les différents scénarios du GIEC ».

Telles sont les trois constantes qui se dégagent des différents contempteurs de Greta Thunberg, s’entre-alimentant dans une posture quasi-paternaliste de la raison :

  • La dénonciation d’une panique alimentée par la peur irrationnelle d’une apocalypse climatique
  • L’appel aux sciences face à des mouvements écologistes qui seraient plus dogmatiques que rationnels (nucléaire, pesticides…)
  • L’opposition à « Sainte Greta » (sic) en tant que jeune égérie (ou icone) de ces mouvances

Cette posture se fonde donc sur des arguments bien plus solides que la simple attaque de forme. Traduit-elle un engagement profond en faveur des sciences ? Ou est-ce une opposition de principe, peu suivie dans les faits ?

En effet, voir en Greta Thunberg une incarnation d’une paranoïa ne prenant pas en compte les études scientifiques est très surprenant, pour quiconque ayant déjà lu ses discours. Que ce soit sur le thème du nucléaire, où elle s’en remet (contre sa conviction initiale) aux recommandations du GIEC, ou dans ses appels à lire, écouter et suivre les recommandations des scientifiques… la militante est, en réalité, une piètre ennemie des sciences.

« Elle a une connaissance des mécanismes en jeu dans la crise climatique bien supérieure à celles de la majorité des décideurs politiques et économiques »

Jean-Pascal van Ypersele, climatologue et vice-président du groupe de travail II du GIEC pour le quatrième rapport d’évaluation : « Changements climatiques 2007 ». Propos recueillis par Le Monde.

Ainsi, cette posture peut surprendre, et questionner la réalité de l’engagement pro-sciences des opposants à Greta Thunberg. Par exemple, cette défense de la science existe-elle en dehors des messages portant sur la militante ? Sont-ils sensibles et actifs sur la question climatique ? Pour décrypter ces comportements, une première étape est de s’intéresser aux autres contenus partagés par les anti-Greta.

Chapitre 2 – Où il y a encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots

Dans cette optique, les 1500 derniers tweets d’un peu plus de 750 utilisateurs ayant partagé un des contenus présentés précédemment ont été extraits et analysés : quels sont les mots les plus utilisés pour parler de Greta Thunberg ? D’environnement ? Ou des sciences ?

Cette analyse a été faite en miroir avec quelques 500 utilisateurs ayant, a contrario, partagé des contenus favorables à Greta Thunberg (liste des contenus ci-dessous).

A propos de ces premières analyses…

  • 1,9 millions de tweets répartis sur 1300 utilisateurs ont été pris en compte
  • 60% des utilisateurs du panel sont défavorables à l’action de Greta Thunberg, 40% y sont favorables
  • Les termes les plus fréquents ont été identifiés dans des tweets portant sur certaines thématiques (Greta Thunberg, Environnement, Sciences…)

Les 750 utilisateurs anti-Greta pris en compte ont tous partagé un de ces contenus (ci-dessous).


Les 500 utilisateurs pro-Greta ont tous partagé un de ces contenus (ci-dessous).

Premier constat : si défenseurs et opposants de Greta Thunberg tweetent autant à son sujet, le champ lexical scientifique reste pauvre chez les anti, tandis que celui de la jeunesse prédomine.

Les deux groupes ont ceci en commun : une activité récente importante sur la militante suédoise, avec 18 à 19 tweets par utilisateur en moyenne. S’il est à première vue difficile de comparer les occurrences de mots des uns et des autres, les différences sont plus nettes en se concentrant sur les mots n’apparaissant fréquemment que dans un des deux corpus (graphes ci-dessous). Sans surprise, les mots les plus utilisés par les opposants à Greta Thunberg font écho à son âge (lexique de la jeunesse), sa fameuse phrase « Vous avez volé mon enfance », sa plainte à l’ONU contre plusieurs pays dont la France, la polémique sur sa traversée en voilier (là encore, argument critiquable, voir cet article de l’AFP)…

Ceci illustre bien la prédominance des arguments de forme sur les arguments de fond contre Greta Thunberg. Dans une interview donnée par Le Monde, le chercheur Albin Wagener fait le même constat, après avoir analysé de nombreux articles et billets de blog portant sur la militante.

A l’inverse, ses défenseurs font apparaître trois dimensions différentes : l’écoute des scientifiques sur le réchauffement climatique, une riposte probable à ses détracteurs (« vieux », « haine ») et l’univers de la prise de parole et de l’action. Contrairement au tableau qu’en font les anti-Greta, ses soutiens ne semblent pour le moment pas emprunts d’un discours alarmiste ou panique, ni d’une défiance des sciences.

Ci-contre : les 50 mots les plus employés par les détracteurs de Greta (ci-dessus) et par ses défenseurs (ci-dessous). La taille représente les mots les plus cités. Les mots communs aux deux groupes sont grisés.

Difficile également de conclure à une réelle démarche rationnelle sur le thème de l’environnement de la part des opposants à G. T. Malgré une focalisation sur les pays européens pollueurs et sur le nucléaire.

Le thème de l’environnement est certes plus fréquemment abordé que celui de Greta Thunberg dans l’ensemble du panel, mais les défenseurs de la militante tweetent bien plus sur le sujet que les détracteurs, avec une moyenne de 48 posts par utilisateur contre seulement 25.

A nouveau, les plus grandes occurrences de mots nous permettent d’identifier des différences notables. Si les soutiens de Greta parlent de « dérèglement », de « rapport » du « GIEC », d’ « action » et de « lutte », les opposants sont focalisés sur le « nucléaire » et les pays pollueurs en « Europe » : l’ « Allemagne » et la « Pologne ».

Ces différences nous éclairent sur la perception du phénomène par les deux groupes : les premiers tendent à aborder le réchauffement climatique comme un phénomène global et urgent, tandis que l’approche des seconds est plus comparative, et entend sanctionner les plus pollueurs tout en rappelant les forces de la France dans la réduction des émissions. Avec des conclusions différentes : si le constat des pro-GT ne peut qu’appeler à une action d’importance et mondiale, celui des anti tend plutôt à relativiser l’impact de la France, donc l’ampleur des actions à mettre en œuvre.

Il est vrai que la France, avec des émissions GES de 6.9 tonnes (en équivalent CO2) par habitant et par an, fait partie des pays européens polluant peu (voir les chiffres de l’INSEE). Mais ce serait oublier qu’elle est encore bien loin des engagements pris aux accords de Paris, soit moins de 2 tonnes par habitant et par an (comme l’explique La Croix).

Ci-contre : parmi les 50 mots les plus cités sur le thème « Environnement », les mots communs aux deux groupes sont grisés. Haut : Opposants à Greta Thunberg ; Bas : Défenseurs de Greta Thunberg.

Le thème des sciences est, lui aussi, présent chez une grande majorité des utilisateurs (91 à 94%), mais il est abordé bien moins fréquemment. Là encore, cette fréquence est plus importante chez les défenseurs de Greta que chez ses opposants (12 tweets par utilisateur contre 7).

Du côté des anti-Greta, des références aux idées identifiées précédemment sont présentes, parmi lesquelles : « écologie », « légumes » « bio », « progrès »… très peu de concepts techniques au final. En évoquant la « recherche », les « faits » ou le « GIEC », les pro-Greta sont font bien plus écho à la communauté scientifique.

Ci-contre : parmi les 50 mots les plus cités sur le thème « Sciences », les mots communs aux deux groupes sont grisés. Haut : Opposants à Greta Thunberg ; Bas : Défenseurs de Greta Thunberg.

Il reste très surprenant, notamment sur des thèmes tournant autour de l’écologie, que le « GIEC » ne soit pas plus cité chez ceux qui se réclament d’une posture rationnelle et raisonnable.

Cette première analyse laisse à penser que les arguments de cette fameuse posture rationnelle tournent en boucle, sans qu’une approche scientifique et basée sur les faits soit véritablement mobilisée. A l’inverse, bien que les sentiments d’urgence et d’action soient très présents chez les soutiens de Greta Thunberg, les mots employés évoquent une démarche s’intéressant aux sciences et notamment aux travaux du GIEC… bien loin donc d’une panique quasi-religieuse décriée chez les détracteurs.

Il serait pourtant difficile de conclure là-dessus. Ces analyses sémantiques donnent une idée de la tonalité générale et des principaux arguments, mais ne fait pas nécessairement apparaître les argumentaires complexes. Pour aller plus loin, il est nécessaire d’analyser les contenus plus en détail, par exemple en s’intéressant aux articles et médias partagés par les utilisateurs.

Chapitre 3 – Où d’un mot bien orchestré, on verra mourir la mise en scène

Pour mettre en évidence ces idées, au moins dans les grandes tendances, près de 600 articles de presse ou de blogs ont été passés en revue. L’objectif : identifier les idées véhiculées par les articles les plus souvent partagés par les utilisateurs qui soutiennent ou critiquent G. T.

A propos de l’analyse des articles partagés…

  • Cette analyse limite le corpus à quelques 780 utilisateurs et 3800 tweets
  • Avec un peu moins de 5 articles partagés (moyenne) par compte sur la période, ces analyses sont qualitatives et permettent de déceler des tendances, en aucun cas une valeur statistique
  • Les catégories sont définies manuellement. Les articles ne véhiculant pas d’idée ou de thèse claires ont été ignorés.

Illustration : exemple d’article catégorisé comme « Perception négative et hostile à l’immigration » et « Perception négative et hostile de l’Islam » (ci-dessous)


Exemple d’article catégorisé comme « Préservation de l’environnement et du climat » (ci-dessous)

La cartographie des médias les plus partagés par les anti-Greta est éloquente : la presse conservatrice et d’extrême droite est très présente.

En effet, un premier constat s’impose : F. de Souche, Valeurs Actuelles et Boulevard Voltaire dominent le classement des médias les plus partagés par les contempteurs de Greta Thunberg. A l’inverse, les défenseurs de la militante optent principalement pour la presse généraliste : Le Monde, Le Huffington Post, le Parisien…

Ci-contre : parmi les articles analysés, médias les plus partagés par les opposants (haut) et les défenseurs (bas) de Greta Thunberg, en nombre de partages.

Si le faible échantillon ne permet pas de conclure de manière certaine que les sites conservateurs ou d’extrême droite sont plébiscités par les anti-Greta, la tendance est très marquée. Suffisamment pour penser que ces sites ont une place significative dans leur écosystème.

Et si pour les défenseurs de Greta Thunberg, le principal thème commun est la défense de l’environnement, c’est bien l’inquiétude face à l’immigration qui prédomine chez ses détracteurs.

Dans les articles relayés par les anti, la question environnementale est discrète (inférieure à 10%, contre 30% pour les soutiens de Greta Thunberg). A titre d’exemple, les opposants à Greta sont aussi nombreux à partager des articles sur le réchauffement climatique que contre l’extension de la PMA et les droits LGBTQ+ en général.

Beaucoup de marqueurs d’insécurité par rapport à l’évolution de la société sont visibles chez les anti, et absents des pro-GT : hostilité à l’immigration (allant parfois jusqu’aux thèses du Grand Remplacement), perception d’une criminalité croissante (et souvent liée à l’immigration)… ces tendances sont d’autant plus frappantes que chez les défenseurs de la militante, le principal dénominateur commun est bien la question environnementale.

Ci-dessus : Tendances observées dans le partage d’article : % d’utilisateur ayant partagé au moins 1 fois l’idée. Ces proportions sont indicatives et doivent être interprétées comme des tendances. L’analyse n’a pas de valeur statistique.

D’autres idées se retrouvent tout de même dans des proportions comparables quel que soit le groupe : une critique de la politique du gouvernement ou encore une sensibilité particulière aux violences et meurtres de femmes.

Ces éléments peuvent toutefois prendre des formes différentes, sans qu’il soit possible ici d’identifier la dominante. Par exemple, des sites comme F. de Souche et Valeurs Actuelles relaient fréquemment des agressions ou meurtres de femmes lorsqu’elles sont le fait de personnes immigrées ou issues de l’immigration. A l’inverse, d’autres utilisateurs sensibilisés aux violences machistes se focaliseront plus sur les féminicides et les violences dans le cadre conjugal.

Ainsi, les articles de presse partagés donnent un tout autre éclairage à la base idéologique des anti-Greta. Mais ces articles étant partagés par une partie seulement du panel, cette tendance se confirme-t-elle dans une analyse sémantique ?

Quelques explications sur l’interprétation et le contenu de chaque catégorie (exemples non exhaustifs) :

Perception négative et hostile à l’immigration : articles faisant état de flux migratoires importants et non contrôlés, critique des aides aux migrants, focalisation sur l’immigration clandestine, théories du grand remplacement…

Opposition à la politique du gouvernement et à LREM : articles venant questionner des déclarations, propositions ou décisions du gouvernement ou des députés LREM, tribunes s’opposant au gouvernement

Préservation de l’environnement et du climat : rapports de dommages environnementaux (déforestation, fonte des glaces, pollution des eaux…), tribunes appelant à lutter contre le réchauffement climatique…

Sensibilité aux violences visant les femmes : articles faisant état de violences, viols ou crime contre les femmes, de sexisme ou d’inégalités hommes/femmes…

Critique d’une société aseptisée ou en déclin : idée d’une police/justice laxiste, nostalgie du passé et/ou idées passéistes, dénonciation d’une bien-pensance et d’une société aseptisée…

Perception d’une criminalité en hausse : principalement des rapports de faits divers (homicides, violences, viols…), quels que soient les auteurs…

Sensibilité aux abus des élites politiques : articles faisant état de divers soupçons ou affaires d’abus, de corruption (etc) touchant des élus et personnalités politiques…

Perception d’une criminalité aggravée par l’immigration : articles présentant des faits divers provoqués par des personnes immigrées ou issues de l’immigration…

Perception négative ou hostile de l’Islam : tribunes critiquant l’Islam ou les musulmans (hors mouvements terroristes), faits divers impliquant des communautés musulmanes ou assimilées (lieux de culte, écoles coraniques) en France et dans le monde…

Soutien à l’extrême droite française : soutien de personnalités ou de partis d’extrême droite…

Cette perception négative de l’immigration tend bien à se confirmer sur l’ensemble du panel des opposants à G. T.

Tout d’abord, ce thème est très présent dans les tweets des opposants à Greta Thunberg. Avec une moyenne de 66 tweets par utilisateur, soit plus de deux fois plus que pour l’environnement, une franche asymétrie apparaît avec les défenseurs de la militante, qui en parlent relativement peu (15 tweets / utilisateur).

Ainsi, les anti associent l’immigration à « massive », « problème », « clandestins », « millions »… tranchant avec l’ « aide » aux « personnes » ou les « morts » en « Méditerranée » des soutiens de G.T. La vision que les détracteurs de la militante ont de l’immigration est donc bien celle d’une immigration massive et problématique.

Si cette tendance est prévisible chez certains tête de file des anti-Greta du fait de leurs liens avec l’extrême droite, comme Laurent Alexandre, l’emprise de ces idées sur l’ensemble du panel montre combien il puise ses idées et ses postures dans une pensée conservatrice. Ironiquement, les détracteurs de Greta parlent plus souvent d’immigration que de la militante elle-même. Et si, dans un cas, ils dénoncent le catastrophisme et la panique… c’est bien l’angoisse d’une crise migratoire d’ampleur et difficilement contrôlable qui domine sur le thème de l’immigration.

Ci-contre : parmi les 50 mots les plus cités sur le thème « Immigration », les mots communs aux deux groupes sont grisés. Haut : Opposants à Greta Thunberg ; Bas : Défenseurs de Greta Thunberg.

Le bilan (calmement)

En définitive, si l’approche rationnelle et scientifique peut exister chez les contempteurs de Greta Thunberg, elle ne constitue pas le ciment de cette opposition. Derrière quelques bons arguments sur le nucléaire ou l’importance de faire pression sur les principaux pollueurs, leur intérêt pour la démarche scientifique est à l’image de leur engagement contre le réchauffement climatique. Timide.

Cette rhétorique apparaît par ailleurs comme un vaste paradoxe. Qui en appelle aux sciences, mais en parle très peu. Se prétend raisonnable, et se déverse contre une simple militante. Dénonce une hystérie sur le climat, et cultive sa paranoïa de l’immigration. Invoque le progrès, malgré une nette influence conservatrice. Une inversion constante, entre un discours où les opposants à Greta Thunberg seraient les victimes d’une secte effondriste, alors même qu’ils partent en croisade contre leur ennemie désignée.

Cette posture rationnelle semble donc plus tenir de l’esbroufe qu’autre chose. Les arguments avancés feraient office d’épouvantails permettant d’esquiver la question climatique, et placer sa confiance dans un progrès scientifique fantasmé paraît une excuse facile justifiant l’inaction. Cette rhétorique est-elle un nouveau climatosceptisme ? C’est l’idée développée récemment dans l’ADN. Difficile toutefois d’avoir un avis définitif sur un groupe aussi étendu. Une composante forte est en revanche omniprésente : le conservatisme.

En effet, en s’appropriant une rhétorique minimisant l’urgence (contre l’idée d’une apocalypse climatique ou en présentant la France comme une « bonne élève ») sans développer un réel discours rationnel et scientifique, le discours des anti-Greta confine avant tout au statu quo. Et si ces derniers peuvent avoir conscience des phénomènes de réchauffement climatique, de leur urgence et de leurs impacts, ils semblent bien se retrouver sur un point. Le refus de changer, de modifier leurs comportements, d’accepter un message remettant en cause les structures habituelles de la société.

Ainsi, ces analyses vont dans le sens du sentiment partagé par plusieurs observateurs du phénomène qui, au sein des attaques ad-hominem des anti-Greta contre la militante, ont vite isolé des composantes réactionnaires. L’idée se retrouvera par exemple sur les sites l’ADN (cité précédemment), les Inrocks, Libération ou encore Slate. Bien évidemment, il ne s’agit pas de faire une généralisation trop rapide mais bien d’isoler une dominante. Les aspects réactionnaires et conservateurs alimentent indéniablement l’opposition à Greta Thunberg.

« L’écologie, en réalité, est un conservatisme. Préserver des paysages, préserver des terroirs, préserver des modes d’alimentation, tout ceci est en réalité un combat identitaire. »

Dans ce discours à la Convention de la Droite, Marion Maréchal tente d’absorber l’écologie dans le conservatisme tout en attaquant « la grande incohérence des écologistes » et « les zadistes anti-nucléaire ». La question environnementale n’est aujourd’hui plus ignorée par les conservateurs, mais dans une rhétorique identitaire, celle d’une France polluant peu et proche de la nature contre un monde extérieur ultra-libéral et destructeur.

C’est là le point de convergence entre la posture des anti sur le thème de l’environnement, et leur peur d’une vague d’immigration. Un conservatisme, entre la peur du changement, ou plutôt de devoir changer, et la défense active d’un ordre existant. Ce qui n’est pas sans faire penser aux angoisses identitaires qui ont pu être observées lors de la récente Convention de la Droite.

Le rejet de l’écologie, ou l’assimilation d’une écologie qui lui serait compatible, est-elle un nouveau marqueur de l’extrême droite ? A l’heure où les idéologues identitaires parlent « d’extermination de l’homme blanc hétérosexuel » et invitent la question du « grand effondrement » dans leurs débats, la jonction parait déjà opérée. L’écologie, en France, ne doit plus seulement lutter pour se faire entendre mais également éviter d’être récupérée ou captée par d’autres idéologies.

Il s’agit, ni plus ni moins, du plus grand défi de la cause écologiste. Car plus qu’un ennemi à combattre, cette écologie identitaire est avant tout un avertissement : beaucoup seront tentés de refuser tout changement, et certains oeuvrent même à le contrer activement. Derrière le défi technique se cache en réalité un exploit humain : faire évoluer nos mentalités, par delà les continents, les clivages religieux ou politiques.

De quoi donner le vertige.

En attendant d’y parvenir, Greta Thunberg risque fort de rester le bouc émissaire parfait pour cette pensée conservatrice.

3 réponses sur “Qui veut la peau de Greta Thunberg ?”

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